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Prix du mémoire 2022
Le 6 octobre dernier, le jury a attribué le prix du mémoire 2022 à Elisabeth Gérard ainsi que deux mentions à Alice Solveig Nouvet et Pauline Dubois. Bravo à elles !
PRIX : Elisabeth Gérard
Premières architectes femmes en Belgique. Trajectoire des diplômées de La Cambre Architecture (1930-1950), entre entraves et opportunités, sexisme et sororité
En Belgique, il faut attendre 1930 pour qu’une femme, Claire Henrotin, termine ses études d’architecture. Jusqu’en 1950, elles sont moins d’une vingtaine à suivre la même voie et neuf d’entre elles décident d’étudier à La Cambre. Ce mémoire investigue l’œuvre et la vie très variées de ces neuf architectes : Claire Henrotin, Margarethe Raemaekers, Ora Fradis, Dita Roque-Gourary, Simone Guillissen-Hoa, Monique De Koninck, Françoise Colsoulle, Françoise Van Cauwenberghe et Odette Filippone.
La première partie de la recherche a été consacrée à la collecte de données biographiques, essentiellement sur base d’archives et de sources primaires car la plupart de ces architectes n’ont pas encore été étudiées. Ensuite, on s’est intéressé à la question du choix posé par ces femmes d’étudier à La Cambre. Cette école d’architecture et d’arts décoratifs fon-déesses à Bruxelles en 1927 a accueilli, durant la première moitié du 20e siècle, le plus grand nombre d’étudiantes en architecture en Belgique. Ce mémoire s’intéresse à la question du genre et à la place des femmes au sein de l’établissement.
Une fois le contexte historique établi, on a analysé les spécificités genrées, individuelles et systémiques, de leurs vécus. En tant que femmes, ces architectes ont été confrontées à différents mécanismes d’invisibilisation et d’exclusion : l’imaginaire collectif, associant systématiquement l’architecte à une image masculine ; l’effacement derrière un proche ou un collaborateur masculin ; les difficultés matérielles menant au phénomène du Leaky Pipeline, qui explique comment les femmes sont plus enclines à freiner ou interrompre leurs carrières d’architectes ; les obstacles genrés qui ont empêché ces architectes d’accéder à la reconnaissance et à la postérité.
Dans la dernière partie du mémoire, on expose les stratégies, passées et contemporaines, visant à valoriser ces architectes et leur travail. Dès l’entre-deux-guerres, des architectes femmes se sont impliquées dans des réseaux féminins et féministes. À partir de 1979, elles se sont fédérées au sein de l’Union des Femmes Architectes de Belgique. Aujourd’hui, les enjeux ont changé, et la question des architectes femmes commence à occuper une place dans le monde de la recherche et des institutions, qu’il s’agisse des centres d’archives, d’institutions culturelles qui mettent ces architectes femmes en avant ou des initiatives grand public, dédiées à la diffusion de ce matrimoine méconnu.
MENTION : Alice Solveig Nouvet
Au faîte de l’Europe. Documenter les coutumes d’un territoire, menacées de disparition et les formes que prend le diagnostic de la perte culturelle
Le premier volet retrace l’histoire du projet de construction du train. Celui-ci est envisagé une première fois dans les années 1930 puis est avorté en 1944 alors que la Seconde guerre mondiale éclate dans la toundra finlandaise. Le récit s’ouvre donc sur les mesures (construction de routes qui facilitent l’accès au nord, départage des terres, acculturation par l’Église et les écoles de la culture sámi, etc.) introduites dans les années 1930 ‘pour préparer le champ’, et accueillir la construction du train.
Le deuxième volet s’écarte de la description de l’aménagement centralisé (réseau routier, institutions, etc.) pour documenter une autre entité qui sillonne le territoire en tout sens : les pylônes radiodiffuseurs. Infrastructures filiformes, à peine visi- bles et postées sur les points hauts (les collines de la Laponie finlandaise n’excédant pas les 300 mètres d’altitude). Leur verticalité tranche l’horizon. Le deuxième volet fait donc le récit de la naissance de ces pylônes de communication, apportés par la Seconde guerre mondiale en Finlande, de leur déploiement et variations sous plusieurs formes.
Le troisième volet s’intéresse au port de Petsamo (à l’issue de la Seconde guerre mondiale, le port est renommé Petchenga), ouvert sur l’océan arctique. Il interroge la disparition de la culture de la pêche au profit de la prospection du pétrole et du gaz menée par l’Union soviétique en Arctique. Dans un contexte de guerre froide, les brise-glaces, les sous-marins prospecteurs, les plateformes offshores, etc. sont commandés à la Finlande ; cet arrangement entre l’Union soviétique et la Finlande est stratégique, en déplaçant les efforts de construction de brise-glaces-méthaniers en Finlande, l’Union soviétique peut concentrer ses efforts d’ingénierie dans d’autre cadres, tels que la conquête de l’espace ou l’armement. De surcroît, ce volet rend compte de l’assujettissement économique de la Finlande à l’Union soviétique.
Le quatrième volet étudie l’adhésion de la Finlande au réseau patrimoniale européen de sites naturels ‘Natura 2000’. Ce volet tente de documenter la ligne de partage entre : les pratiques de constructions et de gestions d’un monde sauvage et pur (introduites par Natura 2000) et la pratique pastorale chrétienne. En outre, ce volet documente l’articulation de cette politique environnementale au désir de se détacher d’un héritage culturel soviétique pour se rattacher à un héritage culturel de l’Europe de l’Ouest.
MENTION : Pauline Dubois
Panser-avec*
* L’expression ‘panser avec’ a été utilisée par Vinciane Despret pour son article « Panser avec les animaux », s’en suit d’autres auteurs : Aurélie Carton, Khalid Lyamlahy, Anne Loncan, Francis Mobio, Maud Reitz, Raoul Granotier, Clarisse Podesta, Jérôme Michalon et bien d’autres. Déçue d’apprendre que ce jeu de mots existait déjà, j’ai d’abord considéré que mon titre n’avait plus lieu d’exister avant de me rappeler que nous n’inventons jamais, mais récupérons toujours. Finalement j’aime à croire que j’ai pensé-avec eux.
Monde vulnérable. ‘Vulnérable’ a une double signification dans son étymologie : qui peut être blessé ; qui blesse. Son ambivalence illustre que nous sommes des êtres vulnérables – qui blessent – vivants sur un monde vulnérable – qui peut être blessé. Je différencie la notion de ‘monde en ruines’ et de ‘monde vulnérable’ pour deux raisons : la première est que penser que nous vivons sur des ruines supposerait que nous soyons en voie de vivre autrement en niant que nous continuons d’accumuler ces ruines - le terme ‘vulnérabilité’ est alors employé pour définir une forme de continuation de ce monde en état de délabrement- ; la seconde est que le mot ‘vulnérable’, de par son double sens, est à la fois un terme triste et joyeux car il se laisse affecter, étant blessé, mais a également l’habilité d’affecter. ‘Vulnérable’ nous incite alors à nous laisser affecter afin d’affecter à notre tour.
Savoirs situés. Chacune des autrices inspire et hante les ‘mémos’ dont je parlerai plus bas. Elles me donnent des clés pour ‘panser-avec’. Toutes élaborent des dénouements pour appréhender ce trouble dans lequel nous vivons et apprendre alors à vivre non plus sur le monde mais avec lui. Que ce soit à travers le trouble, la saleté, les récits ou le soin, chacune suppose un élément principal à ce monde en péril : la mise en relation.
Dialogues. Une large partie de mes références apportées sont des discussions que j’ai eues avec des habitant·e·s de Fraipont, des ami·e·s, des professeur·e·s ou intervenant·e·s, comme une preuve que notre rôle n’est pas d’inventer, mais de récolter pour (re)diffuser. Tel un jeu de ficelles, je crée des liens entre les différentes sources récoltées. Qu’elles soient architecturales ou non, elles m’apportent des pistes de lecture. Lorsque Geert Bekaert parle du ‘lieu commun’ où se déroulent des conversations sur la pluie et le beau temps, il m’éclaire sur l’importance des conversations quotidiennes et sur leurs ressources potentielles. Ces conversations ne sont pas des retranscriptions, elles sont écrites comme je me les rappelle - ou comme j’aime peut-être me les rappeler ? Les dialogues sont mis en parallèle des textes écrits tout au long de ce mémoire, comme des références de sources, des notes en bas de page ou comme simple accompagnement de lecture.
(Dé)faire avec les ruines d’un pont cassé. Le projet (dé)faire avec les ruines d’un pont cassé s’insère entre les ‘mémos’ que je considère comme ‘interstices’. L’imagination du projet et du mémoire s’est faite et défaite ensemble, ils sont in(ter)dépendants. La lecture peut se faire sans le projet ou sans les ‘mémos’, ils se complètent, mais ne doivent pas se lire ensemble. Le récit de Fraipont fait office d’entracte fragmenté en micro-récits.
‘Mémos’. Les ‘mémos’ s’apparentent à la notion du souvenir et de la mémoire. Ils doivent faire appel à la mémoire pour se constituer, mais ne sont pas des modes d’être ou d’opérer, les mémos sont comme des « recueils de notes, de divers renseignements qu’on ne veut pas oublier. » Ils ne donnent pas de clés de lecture pragmatiques d’un espace ni une marche à suivre, ils accompagnent - ou non - la construction de nouveaux récits que nous avons le potentiel de réaliser en architecture. Ces ‘mémos’ ou ‘écrits’ seront des propositions pour imaginer comment nous pourrions construire-avec un monde vulnérable. Les quatre mémos fragmentés en quatre chapitres interrogent sur la manière dont nous pouvons faire perdurer, maintenir, rendre vi(l)e et co.ll.nn.ecter. M’intéressant d’abord à la nécessité des récits, j’aborde différentes manières de les faire naitre qu’ils soient écrits, dessinés ou oraux. Ils dépendent du monde réel mais le dramatisent afin de narrer le présent. La ‘maintenance’ ou le ‘ménagement’ posent un regard critique sur la pratique architecturale et tentent de trouver une solution à la façon dont nous pouvons repenser la notion de main.tenir. S’ensuit l’inverse, le fait d’accueillir la saleté, d’inviter à vivre avec elle en effaçant la vision dichotomique de certains principes énoncés plus haut. Pour finir, j’aborderai la ‘collecte’ et la ‘connexion’ des éléments que nous récoltons pour créer de nouveaux récits en appliquant le ‘jeu de ficelles’. A la fois différents et interdépendants, les chapitres peuvent se lire séparément, invitant le·a lecteur·ice à interrompre sa lecture puis à la reprendre plus tard.
Alice Solveig Nouvet :
Pauline Dubois :